La Ligue Internationale Contre la Détention Arbitraire exhorte le Gouvernement de la République Tunisienne à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'avis n° 50/2023 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Mehdi Ben Gharbia, en demandant au Gouvernement de la République Tunisienne de le libérer immédiatement et sans condition et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lisez l'avis complet du GTDA concernant Mehdi Ben Gharbia (Tunisie) : Avis n° 50/2023.
UN HOMME D'AFFAIRES ET POLITIQUE ARRÊTÉ ET CONDAMNÉ POUR DIVERSES CHARGES RELIÉS À SES ACTIVITÉS PROFESSIONELLES
Medhi Ben Gharbia est un homme d'affaires et politique - ancien ministre et député - Tunisien né en 1973. Depuis 2016, il a fait l'object de campagnes de dénigrement et de diffamation sur les réseaux sociaux, apparement organisées par des concurrents commerciaux et autres détracteurs.
Le 30 Septembre 2021, M. Gharbia a été convoqué par la deuxième brigade centrale de recherche de la Garde Nationale pour être entendu comme suspect, suite à quoi il a subi un interrogatoire qui a duré plusieurs heures. Le 16 Octobre 2021, son domicile a été perquisitionné par cette même brigade, en raison de suspicions de banchiment d'argent et de faux. Pendant cette perquisition, il a été arrêté, placé en garde à vue au siège de la brigade à Tunis, et interrogé pendant plusieurs heures. Suite à cela, il a été transféré à l'hôpital pour des problèmes cardiaques. Suite au mandat de dépôt délivré par le juge d'instruction deux jours auparavant, le 22 Octobre 2021 M. Gharbia a été incarcéré à la prison civile de Messadine.
Le 14 Décembre 2021, après une enquête conséquente, le judge d'instruction a abandonné les charges contre M. Gharbia, et a ordonné sa libération. Cependant, le ministère public ayant rapidement fait appel de cette décision, M. Gharbia n'a pas été libéré et est resté en détention. Le 10 Mai 2022, il a été renvoyé devant une juridiction de jugement, où les accusations suivantes ont été portées contre lui: faux et usage de faux commis en tant que fonctionnaire public; établissement d'une attestation / d'un acte faisant état de faits matériellement inexacts; blanchissement d'argent dans le cadre de son activité professionnelle; et réalisation d'opérations commerciales en usant de moyens détournés.
Des retards répétés ayant eu lieu au sein de la procédure judiciaire à son encontre, au moment de la communication de la source, M. Gharbia n'avait toujours pas été jugé et était toujours maintenu en détention préventive dans la prison civile de Messadine.
Bien que le Gouvernement du Maroc ait eu la possibilité de répondre à ces allégations, il a choisi de ne pas le faire.
ARRÊTÉ SANS TITRE VALABLE ET DÉTENU INJUSTEMENT EN L'ATTENTE DE SON PROCÈS
Tout d'abord, M. Gharbia a été arrêté sans titre valable lors de la perquisition de son domicile le 16 Octobre 2021. Pendant les premières 24 heures de sa détention, il n'a pas été informé de ses droits ni des raisons de son arrestation. Le Procureur a lancé une enquête à son encontre le 20 octobre 2021, et il a été présenté à un juge le même jour, dans un état préoccupant. En l'absence de réponse du Gouvernement, le Groupe de Travail a ainsi considéré que le droit de M. Gharbia a être informé promptement des raisons de son arrestations et des accusations existants contre lui, comme l'exige l'article 9 (2) et les articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'avait pas été respecté.
De plus, M. Gharbia s'est vu injustement refuser le droit d'être libéré en attendant son procès. En effet, au moment de la communication de la source, M. Gharbia était en détention préventive depuis 18 mois. À cet égard, le Groupe de Travail a noté les normes internationales stipulent que la détention préventive doit être l'exception plutôt que la règle, qu'elle doit être ordonnée pour la durée la plus courte possible, et qu'elle ne doit être décidée qu'après une évaluation individualisée des mesures alternatives pouvant être mises en place. Considérant que les autorités tunisiennes n'ont pas respecté ces normes, le Groupe de Travail a donc conclu à une violation de l'article 9 (3) du Pacte.
Enfin, M. Gharbia ayant été présenté devant un juge pour la première quatre jours après son arrestation, le Groupe de Travail a établi que son droit à être promptement présenté à une autorité judiciaire suite à son arrestation, garanti par l'article 9 (3) du Pacte, avait été violé. Dans ces conditions, M. Gharbia n'a donc pas été non plus en mesure de contester la légalité de sa détention, violant ainsi son droit à un recours utile en vertu de l'article 2 (3) du Pacte et de l'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En conséquence, le Groupe de Travail a conclu que l'arrestation et la détention prolongée de M. Gharbia manquaient de bases légales, rendant sa privation de liberrté arbitraire au sens de la catégorie I.
ARRÊTÉ POUR AVOIR EXERCÉ SA LIBERTÉ D'ASSOCIATION ET SON DROIT DE PARTICIPER DANS LA DIRECTION DES AFFAIRES PUBLIQUES
La source a expliqué que la détention de M. Gharbia semblait découler de l'exercice de ses libertés fondamentales, notamment à sa liberté d'association et à son droit de participer dans la direction des affaires publiques de son pays. Plus précisément, d'après la source, M. Gharbia a été arrêté dans un contexte plus large de régression des libertés et de l'état de droit, où ses opposants politiques se sont servi de la lutte contre la corruption comme prétexte pour l'éliminer. Cette acharnement contre M. Gharbia ne serait pas nouveau, puisqu'il subirait depuis 2016 une campagne en ligne de dénigrement et diffamation par des concurrents commerciaux qui seraient en lien direct avec les autorités tunisiennes.
Notant l'absence de réponse du Gouvernement face à ces allégations, le Groupe de Travail a établi que la détention de M. Gharbia résultait en effet de l'exercice de son droit à la liberté d'association et de son droit de participer dans la direction des affaires publiques, garanti par les articles 22 et 25 du Pacte et articles 20 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme - droits qui ont par conséquent été violés.
Le Groupe de Travail a ainsi conclu que la détention de M. Gharbia était arbitraire au titre de la catégorie II.
UNE DÉTENTION PROLONGÉE CARACTÉRISÉE PAR DES FAILLES PROCÉDURALES, DES INGÉRENCES POLITIQUES ET DES TRAITEMENTS INHUMAINS
En raison des refus répétés face à ses multiples demandes de libération, et également en raison des nombreux retards au sein de la procédure judiciaire à son encontre, M. Gharbia a été maintenu en détenu préventive depuis son arrestation. Ainsi, au moment de la communication de la source, ce dernier était detenu depuis presque 2 ans, sans avoir été jugé. À ce titre, le Groupe de Travail a considéré que le droit de M. Gharbia a être jugé dans un délai raisonnable, comme garanti par l'article 14 (3) (c) du Pacte, avait été violé.
De plus, d'après la source, la procédure judiciaire à l'encontre de M. Gharbia semble avoir été compromis par de nombreuses ingérences politiques. Entres autres, le Président Tunisien a fait de plusieurs déclarations exprimant son aversion pour les hommes d'affaires tels que M. Gharbia, et a même pris un décret révoquant 57 magistrats, dont celui qui avait originellement ordonné la libération de M. Gharbia. En considérant ces faits ainsi que les observations du Comité des droits de l'Homme à l'occasion du 6ème Examen Périodique Universel de la Tunisie concernant l'immixtion du pouvoir exécutif dans l'administration de la justice, le Groupe de Travail a considéré que le droit de M. Gharbia à être jugé par un tribunal impartial et indépendant, protégé par l'article 14 (1) du Pacte et l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avait été violé.
Finalement, la source a également noté que M. Gharbia avait été soumis à des traitements inhumains et dégradants. Plus précisément, M. Gharbia aurait été à plusieurs reprises enchaîné à son lit d'hôpital, l'empêchant de dormir, et agressé par des agents cagoulés lorsqu'il refusait d'être de nouveau menotté. De plus, la source a indiqué que la séparation de M. Gharbia avec son enfant de 6 ans - dont il est le seul parent encore en vie - constituait une forme de torture psychologique. Enfin, en signe de protestation contre ces mauvais traitements et l'isolement auquel il a du faire face, M. Gharbia a également commencer plusieurs grèves de la faim. Considérant ceci, le Groupe de Travail a rappelé que le mauvais état de santé ou les mauvaises conditions de détention d'un individu pouvaient porter atteinte à sa capacité à préparer sa défense, et donc à être jugé équitablement.
Ainsi, le Groupe de Travail a conclu que le droit de M. Gharbia à un procès équitable avait été violé de façon suffisamment grave pour rendre sa détention arbitraire au sens de la catégorie III.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a considéré que la détention de Mehdi Gharbia était arbitraire et relevait des Catégories I, II et III, car sa privation de liberté était en contravention des articles 3, 8, 9, 10, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des articles 2, 9, 14, 22 et 25 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
Le Groupe de Travail a recommandé au Gouvernement Marocain de prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de Mehdi Gharbia et de la mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes. Le Groupe de Travail a également demandé au Gouvernement Marocain de veiller à ce qu'une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances entourant la détention arbitraire de M. Gharbia et de prendre des mesures appropriées à l'encontre des personnes responsables de la violation de ses droits.
Le Groupe de Travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, le recours approprié serait de le libérer immédiatement et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international.
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