La Ligue Internationale contre la Détention Arbitraire demande au Gouvernement de la Chine de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l’avis n° 4/2024 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Abdülcabbar Celil Karluk, Suliya Tuerxun, Ailijiang Mamuti et Yasin Abdurrahman, demandant à la Chine de les libérer immédiatement et de leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du GTDA concernant les quatre individus (Chine) : Opinion No. 4/2024.
QUATRE OUÏGHOURS RETENUS DANS DES CAMPS DE RÉÉDUCATION
Abdülcabbar Celil Karluk, Ailijiang Mamuti, Yasin Abdurrahman et Suliya Tuerxun sont des ressortissants chinois, nés entre 1988 et 2005. Ils résidaient tous dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang et appartenaient à la minorité Ouïghoure.
Ils ont été arrêtés entre mars 2017 et mai 2018 sur leur lieu de travail ou à leur domicile. M. Karluk a été libéré en 2019 après deux ans de détention dans un camp de ré-éducation, car ayant été paralysé pendant sa détention, il ne pouvait plus se déplacer ou communiquer correctement. Bien qu'au moment de la communication de la source le sort des trois autres individus n'était pas inconnu, la source a indiqué que tous avaient été détenus, à un moment ou à un autre, dans l'un des camps de ré-éducation situés dans la région autonome du Xinjiang. De plus, suite à leurs arrestations respectives, des membres de la famille de Mme Tuerxun et d'Abdurrahman ont été arrêtés.
Selon la source, leur arrestation semble être liée à la persécution des membres de la minorité Ouïghoure par les autorités chinoises, ainsi qu'à la relation de trois d'entre eux avec des membres de leur famille se trouvant en Turquie. En effet, l'arrestation de Mme Tuerxun a eu lieu après qu'elle ait rendu visite à son enfant en Turquie ; l'enfant adulte de M. Mamuti étudiait alors en Turquie ; et certains membres de la famille de M. Abdurrahman vivaient alors en Turquie.
Bien que le Gouvernement de la Chine ait eu la possibilité de répondre à ces allégations, il a choisi de ne pas le faire. Ces allégations n'ont donc pas été contestées.
ARRÊTÉS ARBITRAIREMENT, DÉTENUS AU SECRET ET SUJETS À LA DISPARITION FORCÉE
Les quatre individus ont été arrêtés sans avoir été informés des raisons de leur arrestation ni des charges retenues contre eux au moment de leur arrestation. Pour cette raison, le Groupe de Travail a estimé que cette situation constituait une violation de l'article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Selon la source, les quatre individus ont été envoyés dans des camps de ré-éducation à la suite de leur arrestation, après quoi ils ont été détenus au secret. Tout d’abord, ce transfert forcé vers des camps de rééducation s'apparente à une disparition forcée, en violation de l'article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Le Groupe de Travail a également estimé qu'ils n'ont pas été en mesure de contester la légalité de leur détention et que, de ce fait, leurs droits à un recours effectif et à être protégé en tant que personnes par la loi ont également été violés, en vertu des articles 6 et 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Dans ces circonstances, ils se sont également vu refuser ou restreindre la possibilité de communiquer avec leur famille, leur avocat ou du personnel médical indépendant. Ce refus ou cette restriction d'accès au monde extérieur en raison de leur transfert dans des camps de ré-éducation a conduit le Groupe de Travail à considérer que leur droit de contester la légalité de leur détention avait été violé et qu'ils n'avaient pas pu bénéficier des droits à un procès équitable, consacrés par les articles 9, 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Le Groupe de Travail a donc conclu que l'arrestation et la détention subséquente des quatre individus étaient arbitraires, relevant donc de la catégorie I, puisqu’elles ne reposaient sur aucune base juridique.
VIOLATIONS DE LEURS DROITS À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Suite à ces conclusions, le Groupe de Travail a dénoncé le manque d'informations dont il disposait concernant les procès de M. Karluk, Mme Tuerxun, M. Mamuti et M. Abdurrahman. Le Gouvernement Chinois n'ayant pas répondu aux allégations présentées par la source, les raisons exactes des arrestations ainsi que les dates et les détails des procès, s’ils ont eu lieu, ne sont pas clairs et le seul élément qui puisse être pris en considération est le maintien en détention prolongée au secret dans des camps de ré-éducation de trois des quatre individus et le fait que le quatrième, M. Karluk, a été libéré et est resté paralysé après deux ans de détention.
Rappelant ses conclusions antérieures concernant la détention des membres de l'ethnie Ouïghoure en Chine, le Groupe de Travail a noté que ces personnes étaient souvent détenues arbitrairement au secret pendant de longues périodes, sans être inculpées ni jugées, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme.
Dans ce cas précis, le Groupe de Travail a estimé que Mme Tuerxun, M. Mamuti et M. Abdurrahman étaient de facto détenus dans des camps de ré-éducation pour une durée indéterminée. Le Groupe de Travail a établi un lien entre l'absence de base légale pour la détention, telle qu'appréciée dans la catégorie I, et l'absence de procédure régulière, envisagée dans les violations de la catégorie III. Ainsi, compte tenu des conclusions de la catégorie I, de l'opacité des éventuelles procédures judiciaires engagées contre eux, de l'absence de clarification de la part du Gouvernement, de la détention indéfinie de trois d'entre eux et de l'absence apparente d’assistance juridique, le Groupe de Travail a considéré que leur détention constituait une violation des articles 9 et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
La source a également affirmé que les quatre individus avaient été privés de leur droit à une procédure équitable devant un tribunal indépendant et impartial ainsi que de leur droit de ne pas être torturés, ce que la source a déduit de la pratique largement connue de violences physiques et psychologiques à l'encontre des détenus des camps de ré-éducation et de leur détention prolongée au secret. Bien que le Groupe de Travail n'ait pas pu se prononcer sur ces allégations en raison de l'insuffisance des informations, il a exprimé sa préoccupation à leur sujet.
Par conséquent, le Groupe de Travail a estimé que l'arrestation et la détention de ces quatre individus étaient arbitraires au sens de la catégorie III, car ayant gravement violé les droits des détenus à un procès équitable.
UN MODÈLE DE PERSÉCUTIONS DISCRIMINATOIRES BASÉES SUR LEUR APPARTENANCE À LA MINORITÉ OUÏGHOURE
La source a affirmé que la détention de M. Karluk, Mme Tuerxun, M. Mamuti et M. Abdurrahman était due à leur identité Ouïgoure, musulmane et Turque, le Gouvernement Chinois détenant constamment des personnes résidant dans la région autonome du Xinjiang pour les mêmes raisons. Le Groupe de Travail a rappelé ses conclusions antérieures qui reconnaissaient la pratique arbitraire de la détention massive et secrète des Ouïghours par les autorités chinoises. Compte tenu de l'absence de réponse du Gouvernement et de la similitude des conditions d'arrestation des quatre personnes avec d'autres cas de détention et de transfert de personnes appartenant à l'ethnie Ouïghoure dans des camps de ré-éducation, le Groupe de Travail a accepté les allégations de la source. En outre, le Groupe de Travail a également dénoncé les arrestations similaires des parents de Mme Tuerxun et de M. Aburrahman.
Compte tenu de ce qui précède, le Groupe de Travail a estimé que les quatre individus avaient été détenus sur une base discriminatoire, à savoir en raison de leur appartenance à l'ethnie Ouïghoure, en violation de l'article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme garantissant la protection contre la discrimination.
Par conséquent, le Groupe de Travail a déterminé que la détention des quatre individius était arbitraire en vertu de la catégorie V, car elle était fondée sur des motifs discriminatoires.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES SUR LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a considéré que les détentions respectives d’Abdülcabbar Celil Karluk, Suliya Tuerxun, Ailijiang Mamuti et Yasin Abdurrahman étaient arbitraires et relevaient des catégories I, III et V, car en contravention des articles 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a recommandé au Gouvernement de la Chine de prendre sans délai les mesures nécessaires pour remédier à la situation de ces individus et de la rendre en conformité avec les normes internationales pertinentes. Compte tenu des circonstances de l’affaire, le Groupe de Travail a estimé que la mesure appropriée serait de libérer immédiatement Mme Tuerxun, M. Mamuti et M. Abdurrahman et de leur accorder, ainsi qu'à M. Karluk, un droit exécutoire à compensation et autres réparations, conformément au droit international.
Enfin, le Groupe de Travail a noté que ce cas s'inscrit dans un modèle plus large d'arrestations et de détentions arbitraires qui semble avoir émergé en Chine au cours des dernières années. Il a rappelé que, dans certaines circonstances, ces détentions arbitraires généralisées ou systématiques peuvent constituer des crimes contre l'humanité.
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