La Ligue Internationale Contre la Détention Arbitraire exhorte le gouvernement de l’Algérie à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'Avis No. 53/2023 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la détention arbitraire concernant Abderrahmane Zitout demandant au gouvernement Algérien de le libérer immédiatement et de lui accorder un droit exécutoire à une réparation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du GTDA concernant Abderrahmane Zitout (Algérie): Avis No. 53/2023.
ASSOCIATION À UN ACTIVISTE POLITIQUE EXILÉ ET ACCUSATIONS DE TERRORISME
Abderrahmane Zitout est un commerçant algérien né en 1982. Il aurait été arrêté le 30 mars 2022 par une dizaine d’agents armés, en civil et/ou en uniformes, alors qu'il était dans sa boutique de vêtements, située en haut de son domicile familial.
La source affirme que la détention arbitraire de Mr. Zitout résulte de l’activisme politique pacifique pour l'instauration d'un état de droit en Algérie d'un membre de sa famille, et de son association aux mouvements Rachad et Hirak. Ce dernier serait exilé depuis 1995 pour avoir dénoncé des graves violations de droits humains commises par les autorités algériennes pendant la guerre civile, et aurait ainsi été inscrit sur la liste des personnes classées comme « terroristes » par le Gouvernement Algérien. La détention arbitraire de M. Zitout constituerait un moyen de pression utilisé par le gouvernement, également à l'égard d'autres membres de sa famille.
Suite à son arrestation, Mr. Zitout aurait été emmené et détenu à une destination inconnue jusqu’au 4 avril 2022. Il aurait été longuement interrogé sur sa relation avec le membre de sa famille exilé et non sur sa propre activité ou appartenance à un groupe terroriste. Il a ensuite comparu le 5 avril 2022 et fait l’objet d’accusations de terrorisme sous diverses dispositions du Code pénal, incluant pour avoir: adhéré et participé à des associations, groupes et organisations ayant des buts ou des activités terroristes et subversifs, relevant de l’article 87 bis du Code pénal.
Le 23 juillet 2023 Mr. Zitout aurait été reconnu coupable et condamné à deux ans de réclusion criminelle pour avoir publié des nouvelles mensongères dans le but d’attenter à l’ordre public et à la sécurité publique, et pour délit d’outrage à corps constitués.
Bien que le Groupe de Travail ait donné l'opportunité au Gouvernement Algérien de répondre à ces allégations, ce dernier ne l'a pas fait dans le délai imparti.
DISPARITION FORCÉE, SANS ÊTRE INFORMÉ DES RAISONS DE SON ARRESTATION, SANS CONTRÔLE DE SA DÉTENTION
Mr. Zitout n’a pas été informé des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui au moment de son arrestation, en violation de l’article 9(2) du Pacte. Il n’a comparu devant une autorité judiciaire que six jours après son arrestation, sans justification de ce délai par le Gouvernement. De ce fait, le Groupe de Travail a établi que le droit de Mr. Zitout à être promptement présenté devant un juge à la suite de son arrestation, garanti par l’article 9(3) du Pacte, avait été violé.
La détention provisoire de Mr. Zitout a par ailleurs été prononcé malgré l’absence totale d’éléments matériels dans son dossier et sans détermination individuelle de sa nécessité. De plus, au moment de la communication de la source au Groupe de Travail, cette détention provisoire durait depuis plus d'un an. Le Groupe de Travail a estimé qu'une telle détention provisoire était contraire à l’article 9(3) du Pacte.
Suite à son arrestation, le lieu de détention de Mr. Zitout est demeuré inconnu jusqu’au 4 avril. Il a de ce fait été privé de tout contact avec sa famille et ses avocats pendant 5 jours. Ainsi, le Groupe de Travail a considéré qu’il s’agissait d’une violation de son droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal, en application de l’article 9(4) du Pacte. De plus, le Groupe de Travail a estimé qu'il s'agissait d'une disparition forcée, violant ainsi les articles 9 et 14 du Pacte. Le Groupe de Travail a également considéré que le droit de Mr. Zitout à un recours utile, garanti par l’article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’article 2(3) du Pacte, ainsi que son droit à être protégé par la loi, garanti par l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de l’article 16 du Pacte, avaient été violés.
Au vu de ce qui précède, le Groupe de travail a conclu que l'arrestation et la détention de Mr. Zitout étaient dépourvues de base légale, en violation des articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et 9 du Pacte, et les rendant ainsi arbitraires au titre de la catégorie I.
DÉTENU POUR AVOIR EXERCÉ SON DROIT À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, SOUS UNE DISPOSITION PÉNALE VAGUE ET IMPRÉCISE DE TERRORISME
Le gouvernement a soutenu que Mr. Zitout avait été arrêté et détenu pour avoir été en possession de tracts à l’encontre de l’État Algérien et louant les actions du mouvement Rachad, classé comme terroriste, ainsi que pour les avoir publiés. De ce fait, le Groupe de Travail a considéré que le Gouvernement avait reconnu que Mr. Zitout avait été poursuivi pour l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Le Groupe de Travail a noté le caractère pacifiste des activités du mouvement Rachad, et l'absence de démonstration par le Gouvernement de la nature violente des tracts que Mr. Zitout aurait publié. Mr. Zitout a donc été arrêté et détenu pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et d’opinion, consacré à l’article 19 du Pacte et à l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ce droit a ainsi été violé.
De plus, le Groupe de Travail a exprimé ses préoccupations quant au caractère vague et à l’utilisation à mauvais escient des dispositions anti-terroristes prévues au Code pénal à l’article 87 bis, en vertu duquel Mr. Zitout aurait été détenu. Une telle disposition définie en des termes excessivement généraux et imprécis peut mener à proscrire l’exercice pacifique de droits garantis par le droit international, tel qu'en l'espèce.
Le Groupe de Travail a noté que cela renforçait sa conclusion quant au caractère arbitraire de la détention de Mr. Zitout au titre de la catégorie II.
DÉFAUT D’ACCÈS À UN AVOCAT, ADMISSION D’UNE PREUVE OBTENUE PAR TORTURE
Mr. Zitout s’est vu refuser l’accès à un avocat de son choix dans les 5 jours suivant son arrestation, ce que le Gouvernment a nié en indiquant que c'était Mr. Zitout qui avait refusé de prendre un avocat. Cependant, jugeant cette réponse insuffisante, le Groupe de Travail a considéré que le droit de Mr. Zitout d'être assisté par le conseil légal de son choix, protégé par l’article 14 (3)(b) et (d) du Pacte, avait bel et bien été violé.
En outre, le Groupe de travail a également retenu les allégations de la source quant au fait que l’arrestation et les accusations à l’encontre de Mr. Zitout ont été fondées sur des aveux d’un tiers obtenus par la torture. L’admission d’une telle preuve entache l’ensemble de la procédure, la rendant inéquitable, et est contraire à l’article 14 du Pacte et à l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de Travail a donc considéré que la gravité des violations du droit de Mr. Zitout à un procès équitable conférait à sa détention un caractère arbitraire au titre de la catégorie III.
REPRÉSAILLES POUR ACTIVISME POLITIQUE D’UN MEMBRE DE LA FAMILLE EXILÉ
Considérant l’interrogatoire de Mr. Zitout quant à sa relation avec le membre de sa famille exilé, les convocations fréquentes d’autres membres de sa famille pour de tels interrogatoires, ainsi que l’absence de preuve contraire émise par le Gouvernement, le Groupe de Travail a conclu que Mr. Zitout était détenu sur une base discriminatoire. Notamment, en raison de ses liens familiaux et en mesure de représailles au militantisme et aux opinions politiques du membre de sa famille exilé. Il s’agit d’un cas de culpabilité par association, qui par conséquent viole les articles 2 et 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des articles 2(1) et 26 du Pacte.
Le Groupe de Travail a donc considéré la détention de Mr. Zitout comme arbitraire au titre de la catégorie V.
ISOLEMENT CELLULAIRE ET ÉTAT DE SANTÉ PRÉOCCUPANT
Engin, le Groupe de Travail s'est dit préoccupé par les allégations de la source quant aux grèves de la faim effectuées par Mr. Zitout en 2022 ainsi qu'en 2023, à titre de protestation contre son maintien prolongé en détention provisoire. Le Groupe de Travail a également souligné que l'isolement cellulaire ne peut être utilisé que dans des cas exceptionnels, en dernier recours, pour une durée aussi courte que possible (et de moins de 15 jours consécutifs), doit être soumis à un examen indépendant et autorisé par une autorité compétente. Le Groupe de Travail a en outre rappelé que le mauvais état de santé d'une personne détenue ou des mauvaises conditions de détention peuvent compromettre sa capacité à participer à une procédure judiciaire et à préparer sa défense, en violation de l’article 14 du Pacte et de l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de travail a rappelé au Gouvernement Algérien que toutes formes de représailles étaient inacceptables, et l'a exhorté de cesser tout acte de la sorte à l'encontre de la famille de Mr. Zitout.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière des éléments susmentionnés, le Groupe de Travail des Nations Unies contre la détention arbitraire a considéré que la détention d'Abderrahmane Zitout était arbitraire et relevait des catégories I, II, III et V, parce que sa privation de liberté était contraire aux articles 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10 et 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux articles 2, 9, 14, 16, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le Groupe de travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, le remède approprié serait de libérer immédiatement et sans condition Mr. Zitout et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international.
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